Le temps de brouillage de phase d'un condensat de paires de fermions


Depuis une vingtaine d'années, grâce aux atomes froids, on sait produire au laboratoire des condensats atomiques gazeux aux remarquables propriétés de cohérence, qui sont le pendant pour les ondes de matière de celles des lasers pour la lumière. Au contraire de leur cohérence spatiale, dont on a bien compris qu'elle pouvait s'étendre sur des échelles macroscopiques, leur cohérence temporelle et les mécanismes qui la limitent font l'objet d'intenses études expérimentales et théoriques.

Ce problème a d'abord été étudié dans le cas bosonique, en particulier avec Jean Dalibard au LKB en 1997. Il a été montré qu'on peut adopter deux points de vue équivalents. Le premier prend acte du fait que l'on ne mesure dans une expérience que la phase relative de deux systèmes ; la question est alors de savoir comment va évoluer cette phase, initialement bien définie, entre deux condensats. Le deuxième point de vue brise la symétrie U(1) et considère l'évolution du paramètre d'ordre pour un système de taille finie. Dans les deux cas, le brouillage de phase provient de l'influence conjointe des interactions et des fluctuations de la variable conjuguée de la phase, c'est-à-dire du nombre (relatif ou absolu) de particules.

Le cas des fermions restait ouvert. Il est d'ailleurs particulièrement intéressant car il permet d'accéder expérimentalement au régime d'interaction forte. Il était aussi plus ardu théoriquement : il nécessitait d'aller au delà de la théorie BCS, qui conduit à un spectre d'excitation avec une bande interdite, à l'exclusion de tout mode de basse fréquence. Avec une approche plus élaborée, Anderson a prédit en 1958 l'existence d'une branche de phonons dans les condensats de fermions. Nous avons complété son approche en montrant qu'en sus du mode de fréquence nulle attendu, associé à la brisure de symétrie U(1), il existe un mode anormal conduisant au brouillage de la phase. Puis nous sommes parvenus à étendre cette prédiction au régime d'interaction forte, pour aboutir à l'expression suivante du temps de brouillage de la phase relative de deux condensats :

ħ/tbr = (dμ/dN) Δ(Na-Nb)

où dμ/dN est la dérivée du potentiel chimique de chaque condensat par rapport à son nombre de particules et Δ(Na-Nb) est l'écart-type de la différence de leurs nombres de particules. Nous faisons aussi une proposition d'expérience permettant de préparer, avec des fermions de spin 1/2, un état initial de phase relative bien définie et de mesurer ensuite l'évolution de cette phase (voir la figure).


Figure
Deux condensats de paires d'atomes fermioniques, préparés dans un état de phase relative bien définie par la levée d'une barrière de potentiel, évoluent indépendamment sous l'effet des interactions. Cette dynamique, combinée aux fluctuations initiales de leurs nombres de particules, conduit au brouillage de leurs phases.

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Publication

"Phase operators and blurring time of a pair-condensed Fermi gas", H. Kurkjian, Y. Castin, A. Sinatra, Editor suggestion de Physical Review A (2013).

Contact : Alice Sinatra (alice.sinatra@lkb.ens.fr)